Cave de la Buvette "La Fourmi Rouge"

Angéline pousse la porte marquée "Toilettes", au fond de la salle. Un petit couloir se dévoile, au fond: deux portes. Celle de droite est marquée "Toilettes", celle de gauche "Privé - Défense d'entrer".

Elle tend l'oreille, mais aucun son ne lui parvient, si ce n'est le roucoulement de quelques pigeons... Le serveur avait insité sur "à gauche". Suivant ses instructions, elle pousse la porte.

Il s'agit bien d'une cave, mal éclairée: une seule lampe éléctrique, vaguement accrochée au plafond, diffuse une lumière jaunâtre. Deux hommes qu'elle ne connait pas sont assis sur des tonneaux au fond de la cave voutée. Une chaise libre semble lui être destinée. Lucien manque à l'appel.
Angéline s'avance d'un pas. La porte lui échappe des mains et se referme brutallement derrière elle. Elle a été poussé par Lucien, qui, regardant gentillement son épouse, lui dit:

"Assis-toi..." Elle obtempère, la chaise vient d'être nettoyée de sa poussière. Lucien gagne un troisième tonneau. C'est l'homme du milieu qui prend la parole.

"Vous vouliez nous rencontrer, Mme Vernier..."

Un peu décontenancée de prime abord par le côté plus brutal de mon époux, je reste tout de même sérieuse et attentive à mes hôtes.
Ma gorge est un peu nouée, je prends alors soin de déglutir avant de parler.

-Bonjour, je vois que les présentations de mon côté ne sont pas à faire, mais puis-je savoir qui sont mes interlocuteurs ?

Je ne cherche aucunement à créer un quelconque malaise, tout au contraire, atteindre le vif du sujet d’emblé me faisant un peu peur, j’essai d’orienter la conversation afin de me laisser davantage de temps à l’analyse de la situation pour être en meilleure disposition face à eux lorsque nous devrons parler tout à fait solennellement.

Ses "interlocuteurs" laissent un léger temps de silence planer sur la cave. Ce qui laisse à Angéline le temps de mieux les regarder. L'un d'eux attire son attention. Son visage lui semble familier. Elle croit reconnaître le facteur. Il a le crâne un peu dégarnit, ce qui la dérange un petit peu, puisque d'habitude, il effectue ses missions postales avec une casquette de postier. L'autre lui est totalement inconnu. C'est d'ailleurs lui qui parle. Et qui semble être la tête pensante du groupe, et parait la cinquantaine.

"Vous connaissez déjà votre mari." déclare-t-il ironiquement. "On m'appelle Rex. Et voiçi Petit Jean. Les présentations étant faites, dites-nous ce pourquoi vous nous avez fait réunir ici... Lucien semblait nous dire que vous faisiez partit d'un groupe de resistance supérieur quantitativement et qualitativement au notre. Commencez par nous dire pour qui vous travaillez, et quels sont vos objectifs."

La pression qui me faisait être un peu perdue dans un premier tombe retombe quelque peu et me permet d’être à présent un peu plus à l’aise. Cela se traduit par la stabilisation de mes mains qui ne faisaient que se frotter l’une contre l’autre depuis que j’étais assise.

Je dodeline quelque peu de la tête, cherchant à les croiser tous els 3 du regard et plus particulièrement cherchant à capter celui de Lucien.

Mon attention revient ensuite sur « Rex » et après avoir écouté ses présentations, je prends une bonne inspiration et je me décide enfin à parler.

-Hé bien je suis enchantée de vous rencontrer.
Mon organisation est je le pense effectivement bien plus nombreuse et sans doute mieux organisée que la votre bien que je dois avouer ne pas connaître la votre. Mais il en est que vous avez pour nous une certaine complémentarité qui nous serait bien utile.
Pour lever enfin le voile, je fais partie de … -Je jette un coup d’œil vers Lucien au moment où j’annonce cela- … la franc maçonnerie.
Tout comme vous, nous agissons clandestinement actuellement afin de retrouver l’intégrité de notre pays, mais nous n’avons pas mis en place un système de communication interne comme vous le faîtes. Nous aimerions pouvoir axer nos actions de concerts avec les vôtres afin de profiter de vos services et nous en contre partie pourrions vous offrir une couverture plus forte en cas de pépin.
Nous avons le même but, autant nous unir d’une quelconque manière, c’est donc l’objet de notre présente rencontre.

Je reprends dès lors mon souffle, en les regardant un par un.

-Puis-je avoir un verre d’eau s’il vous plaît ?

Lorsqu'Angéline emploie le mot "Franc-Maçonnerie", Rex tourne vivement la tête vers Lucien qui affiche un regard perplexe. Leur surprise semble être tant qu'ils n'en écoutent même pas la dernière question d'Angéline.

"Hum. Quelque chose me turlupine. Le renom de votre Société est tel, que je ne vois pas pourquoi elle risquerait de perdre son aspect secret en prenant contact avec la resistance française. Ne serait-ce pas elle, qui a besoin de notre aide ?"

Voyant leur étonnement, je profite de cela pour rebondir d’autant mieux.

-Oui ma société est très connue et aussi très « secrète » mais il me semblait pourtant que la résistance l’était aussi, non ? Nous perdrions donc notre secret d’agir avec d’autres groupuscules secrets eux aussi ?
Voyons messieurs, je ne serais pas ici si ma requête n’était pas sérieuse.
Et pour ce qui est de votre aide, je viens effectivement de vous dire que oui nous en aurions besoin, mais que cela serait du donnant donnant d’une certaine manière.

Je passe ma langue sur mes lèvres afin de les humidifier un peu.

-Je peux avoir mon verre d’eau ?

Lucien se lève pour aller chercher un verre d'eau. Il sort de la cave. Rex continue de parler. Il réajuste son col roulé, visiblement très interressé.

"Hum. Je vous crois Mme Vernier. Mais supposons que nous marchions ensemble, qu'est-ce que vous attendez de nous exactement ?"

Je lance un petit sourire à Lucien lorsqu’il part chercher ma demande.

-Dans un premier temps je souhaitais déjà seulement que nous entrions en contact. Ceci était mon rôle, pour les requêtes à venir, je n’ai pas encore eu de consignes exactes à ce sujet, mais je ne manquerais pas de vous en faire part lorsqu’il y aura du nouveau.

-Je déjà voulais savoir si vous étiez potentiellement intéressés.

Rex regarde Petit Jean. Celui-ci répond de la tête par l'affirmative, très faiblement. Rex continue:

"Nous le sommes. Nous vous demanderons certaines choses en contre partie. Nous devons déjà concerter chaque membre de notre groupe. Sachez pour l'heure que vous pouvez nous contacter ici-même, ce n'est pas notre quartier général, mais les liens entre les deux lieux sont étroits. Vous pouvez donc faire passer des messages pour moi, ou Petit Jean. Vous ne serez par trahie.

Aujourd'hui nous attendons de vous la même chose: que vous nous donniez un contact dans votre groupuscule. De toute manière, nous savons où vous trouver, vous. Puis nous nous reverrons sans doute très vite..."

A la fin de ce laïus, je fais mine de regarder vers la porte afin de voir si Lucien revient avec le verre d’eau.
Puis n’attendant pas forcément son retour, je réponds calmement.

-Pour l’heure, je serais votre contact. Vous pouvez aisément me joindre par le biais de Lucien.
Sinon mon organisation vous fera savoir prochainement et avec plus de précision ce qu’elle attend des acteurs de la France libre.
Je vous remercie en tout cas de m’avoir reçue.
Avez-vous de votre côté quelque chose à ajouter ?

J’ai pris pleinement confiance en moi au cours de cet entretient et cela permet ainsi de garantir avec plus d’autorité, l’authenticité de mes propos. Je suis assez fière de moi.

"Nous avons hâte de travailler avec vous."

C'est à cet instant que Lucien revient, sans le verre. Il écrase sa narine droite d'un doigt tout en déclarant: "Y'en a qui traînent dans le coin..."

Il prend sa femme par le bras et la tire en dehors de la cave. Angéline entend Rex s'adresser à Petit Jean : "Enfermez-moi là, et faites moi sortir lorsque la patrouille se sera éloignée."

Lucien tient sa femme fermement par le bras, il la fait s'asseoir à la table la plus proche, puis d'un grand pas, se retrouve devant le comptoir. Le serveur s'empresse de servir trois chopes de bière. À cet instant, deux soldats allemands en uniforment entrent dans la buvette. Ils s'installent près de l'entrée (au plus loin de la table d'Angéline) et font signe au serveur de venir les servir.

Petit Jean rentre à son tour dans la salle principale, faisant mine de remettre en place sa ceinture. Lucien apporte les trois bières et les distribue. Il engage un faux semblant de discussion.

"Assez parler de moi, comment va le travail pour toi, Jean ?

-Pas mal, pas mal. Tu sais, le service postale..."

Sans broncher je me laisser entraîner par mon époux et je m’assieds en essayant de garder un air des plus détendus.
Du coin de l’œil j’observe le manège de mes comparses de tablée et je jette un œil aux allemands qui font leur entrée.
Puis comme si de rien n’était je reprends la « discussion » en faisant quelque peu la moue.
Lucien aurait dû savoir que je n’affectionne pas la bière et en plus j’ai très soif depuis le temps que je demande mon verre d’eau.
Pas le choix je prends une gorgée de bière, mais je ne puis cacher mon dégoût par une grimace caractéristique.
J’essai dès lors d’attirer l’attention de Lucien par mon regard en lui faisant comprendre qu’il n’a pas fait le choix le plus avisé.

Mais pour le moment je reste silencieuse, essayant davantage de regarder du coin de l’œil les deux allemands afin d’identifier leur grade et éventuellement leur rôle actuel.

Les soldats commandent eux aussi deux bières. À la vue de leurs petits insignes cousus sur leurs épaules, Angéline comprend que se ne sont que de simples Schützen, soldats de seconde classe. Ils discutent entre eux, ne prêtant pas attention aux trois faux-clients du fond de la salle.

Lucien note adroittement le regard d'Angéline, et le comprend aussitôt. Usant de son talent d'acteur, indispensable pour un magicien, il continue de parler à Jean, tout en adressant à Angéline un léger haussement d'épaule, et un regard innocent.

"Hum... Et ta femme ? Elle reprend la forme ?"

Ce regard, Angéline l'interprête tout aussi bien: "Ce n'est pas de ma faute, c'est le serveur qui nous a servit. On avait pas le temps de choisir."
Et Jean de répondre:

"Oui, petit à petit. Cette vilaine grippe l'avait totalement affaiblie. Vos filles n'ont pas attrapé ce virus au moins ?"

Je prends alors la parole pour répondre à Jean, me sentant pleinement concernée lorsqu’on parle de nos filles.
-Non par chance elles ont été épargnées, mais je fais très attention car l’une de leur camarade de classe a aussi attrapé la grippe.
-Tu as pris soin de ta femme alors, ça a dû te changer un peu d’inverser les rôles ! Je dis cela sur le ton de la moquerie aimable comme si je connaissais Jean depuis de longue date, me mettant à rire doucement.
Puis je me lève et je m’approche du comptoir tout en écoutant sa réponse afin de demander au serveur un café et un verre d’eau, que finalement j’avais changé d’avis. Puis j’enchaîne pour Jean en me retournant vers lui.
-Pour me faire pardonner ma taquinerie, je te laisserais boire ma bière.

Je retourne ensuite m’asseoir continuant la conversation.

Jean sourit légèrement à la remarque d'Angéline. On remarque son manque d'aisance: il ne connait pas trop la franc-maçonne, et peine donc à avoir un dialogue de bons amis avec elle.

"J'espère que ce ne sera pas aussi violent que pour ma femme..."

Le serveur apporte un café serré accompagné d'un verre d'eau. Il pose la note complète sur la table et retourne derrière son comptoir. Angéline le suit des yeux.
C'est à cet instant qu'un troisième soldat allemand entre dans la buvette. Il sourit et parle à voix haute à ses camarades, qu'il rejoint. Angéline a un frisson ; elle vient de reconnaitre, Ghünter, le fiancé d'Agnès, son amie d'enfance.

En réponse à Jean.
-C’est à espérer effectivement.
Puis observant le nouvel arrivant après avoir réprimé une petite grimace, je décide de faire face et de prendre le dessus sur cette situation. Je me retourne vivement dans la direction de l’allemand auquel j’offre un signe de reconnaissance d’un geste de la main, puis je me lève en essayant d’entraîner Lucien afin d’aller à sa rencontre pour le saluer d'une poignée de main.

-Ghünter, le hasard fait bien les choses, c’est un plaisir de vous revoir.
-Je vous présente mon mari, Lucien.

J’attends les réactions de tout le monde avant d’enchaîner.

Ghünter parrait surpris et amusé à la fois. Il joue avec ses doigts pointés sur Angéline, cherchant ses mots en français.

"Oh! Oho !! Euhm... Ange... Angéline, c'est ça ?"

Il prend et sert activement la main de Lucien. Celui-là jette un regard interloqué à sa femme, essayant de comprendre la situation. Ghünter lui adresse la parole avec un accent très marqué.

"Schön !! Bonjour Lucien ! Je suis, euhm... Enchanté. Je suis le, euhm... Fian... Fiancé (il fait la grimace, pensant écorcher le mot) de Agnès."

Je regarde Lucien avec un air ravi et avec beaucoup de gaieté de lui annoncer :

-C’est étonnant ça tout de même, je t’en parlais justement hier du fait que j’avais retrouvé mon amie d’enfance Agnès et que j’avais fait la connaissance de son fiancé et le voici devant nous.
Puis me retournant vers Günther.
-Nous nous ferons effectivement une joie de dîner avec vous, que diriez vous de vendredi soir ?
-Et comment va Agnès ?

"Oho !! Oui, très bien. Elle va très bien aussi, quoiqu'un petit rhume ce matin, rien de bien grave. Va pour vendredi soir !! Cela ne vous dérange pas Mr..."

Lucien répond, avec un sourire jaune.

"Vernier. Lucien Vernier. Ce sera avec joie de vous retrouver vendredi."

Il serre le coude d'Angéline de sa main droite. Puis, la tirant légèrement en arrière:

"Nous allons vous laisser entre collègue. J'ai été enchanté."
- Moi de même, Mr Vernier."

Angéline et Lucien s'écarte des Allemands, et retournent s'asseoir sous le regard interrogateur de Jean. Il a entendu les présentations, mais regarde maintenant Angéline d'un regard suspect. Celui de Lucien est ennervé.

Je retourne m’asseoir en conservant mon apparente bonne humeur puis avec une étonnant discrétion je leur dit à voix basse :

-C’était ça ou paraître davantage suspect, ainsi nous sommes tranquille pour le moment.

J’abhorre un agréable sourire puis je regarde Lucien.

-Vendredi nous ferons ainsi notre première mission d’infiltration ensemble et sous une très belle couverture. Je compte sur toi mon chéri.

Puis fixant Jean de mes grands yeux bleus, je lui annonce :

-Je pense que nous avons fait le tour de la question, je vous tiens comme convenu au courant de la suite des évènements.

Aussitôt je me lève et je sers la main de Jean et je fais signe à Lucien que nous partons.

-A bientôt monsieur Jean !

Je me dirige ensuite vers la sortie en envoyant un délicat sourire aux allemands lorsque je passe près d’eux en entraînant Lucien.

[Sortie]