Musée de l'Homme - Palais Chaillot

Rainer menait Luther et Hans sur le parvis du Trocadero. Derrière eux s'élevait la Tour Effeil dans la brume de Janvier.

"Voilà c'est par ici."

Ils pénétrèrent par une grande porte de fer et de vitres dans l'espace chauffé du Palais. Alors que Hans et Rainer enlevaient leurs gants, on pouvait lire sur de grands panneaux l'histoire récente du palais, tout juste construit en 1937 pour l'Exposition Universelle de Paris, et qui remplacait le Palais du Trocadero.

Au delà du Hall, des flêches colorées indiquait trois directions: Ethnographie, Anthropologie et Préhistoire, chacune menant à un niveau différent. Rainer se sentit obligé de se justifier.

"Je n'ai fait que questionner le Conservateur, je ne sais pas où se trouve le crâne..."

Le SS-Obersturmbannführer se tient au milieu du hall. En retirant ses gants, par des gestes lents mais assurés, il s'adresse à Rainer.

"Soldat, faites venir prestement le Conservateur. Usez d'un ton sec et strict. Un haut gradé de la SS l'attend dans le hall... Et les hauts gradés de la SS détestent attendre dans les halls..."

Les gants en cuir rejoignent la poche extérieure droite du manteau Noir de l'Allemand. Les mains dans le dos, immobile, il patiente avec Hans en promenant son regard dur sur les quelques visiteurs.

Rainer s'execute. Il s'éclipse précipitemment dans la direction des salles du rez-de-chaussée. Luther et Hans l'entendent peu après apostropher de quelconques personnes, et donner des ordres bruyants dont les échos se prirent dans les lustres du plafond.

Quelques minutes plus tard, il revient avec un petit homme à lunettes et fines moustaches, sur le même pas de course.

"Messieurs, si vous voulez bien me suivre," déclame-t-il avec un certain accent de domestique bourgeois, "Ce que vous cherchez se trouve par ici..."

Toujours au rez-de-chaussée, niveau de l'Ethnologie, un crâne de cristal de la même taille de celui qu'avait retrouvé Luther, siège sur un reposoir blanc. Le conservateur improvise une brève présentation, à demi-machée, et très vite débitée.

"Le Crâne de Paris, en quartz limpide d'une grande pureté, onze-centimètres-haut-deux-kilos-huit, pièce monolithique. Offert au Musée par Alphonse Pinart."

Wachendorf, usant de ses notions de français (tout à fait honnorables, bien que souffrant d'un fort accent allemand), se lance dans une tentative de mensonge. Le visage fermé, le ton posé, il se montre le plus convaincant possible.

"Dans la lettre du Ministère de la Culture du Reich, contre-signée par l'Abwehr, que vous avez reçu dernièrement, vous avez eu vent des menaces pesant sur certaines pièces de vos collections... Celle-là, en particulier.

Il vous a été demandé d'accentuer vos efforts en terme de sécurité et de surveillance... Qu'en est-il?"

Luther tourne la tête, regarde tous les coins de la pièce, fronce les sourcils, puis revient vers le petit français.

"Cette oeuvre est bien protégée, selon vous?"

Le conservateur s'étonne, sans paraitre bien intimidé.

"Une lettre ? Croyez ma bonne foi, si nous avions eu connaissance d'une telle lettre, nous aurions pris les mesures necessaires à la protection de cet artefact."

Il secoue la tête de droite à gauche.

"Non non non. Nous n'avons rien reçu de tel. C'est là la raison pour laquelle votre visite est pour nous une surprise, et qu'aucun dispositif de sécurité suplémentaire n'a été installé dans cette pièce."

La salle exposait d'autres mobiliers sud-américains, un seul garde assurait le respect des oeuvres...

Wachendorf, dans un exercice de comédie de haute volée, soupire en retirant sa casquette. Il se tourne vers ses hommes en hochant ostensiblement la tête de dépit... Retour sur le conservateur.

"Une chance que cette pièce soit encore là..."

En Allemand, et à destination de Rainer.

"Tu restes là et tu surveilles le crâne. Je fais le nécessaire. On revient vite."

La casquette retourne sur le crâne. Wachendorf se dirige vers la sortie de la pièce.

"Monsieur le Conservateur, je vais contacter de ce pas le Reich-Minister afin de savoir ce qu'il convient de faire. Je laisse un homme ici. Je reviens avec des informations..."

Le gradé SS et Hans sortent du musée pour revenir au véhicule.

"On rentre au quartier général. Il va falloir me procurer un faux document. Une lettre du Reich-Minister de la Culture contresignée par le gouvernement Pétain, me donnant l'autorisation, pour des raisons de sécurité, de prendre le crâne pour le mettre à l'abris. Ca te semble faisable?"

Hans prend quelques minutes avant de répondre. Il se met à sourire lorsque le moteur vrombit.

"Peut-être. Il faudrait en parler au faussaire, ou à Kirker. Cependant, avec ce dernier, c'est passer par le chemin officiel. Et faire remonter ça jusqu'à Berlin prendra plusieurs jours..."

Il marque une pause.

"Et avec le faussaire, cela coûtera beaucoup plus." Il regarde Luther. "Mais nous n'avons pas de temps à perdre avec ces franc-maçons qui souillent les rues de Paris. Aussi, le fait que le crâne soit toujours au Musée nous indique que nous sommes en avance sur eux. Il nous est cependant impossible de savoir si cette avance est légère ou prononcée."

Nouvelle pause.

"Je passerai directement voir le faussaire lorsque nous serons au QJ. Je vous rejoindrai dans votre bureau..."

[Suite dans le Bureau. Sortie de Wachendorf.]

[Entrée de Wachendorf]

C'est deux heures précises plus tard que Luther, accompagné de Hans et deux hommes en plus reviennent devant le fameux crâne translucide. Rainer était resté en poste devant l'artefact. Le conservateur se tenait à côté de lui, et epousseta ses manches à l'arrivée des gradés.

"Messieurs, du nouveau ?"

Wachendorf marche en tête. Ses deux hommes, uniformes SS, armes à la ceinture, suivent de près. Expression neutre, l'officier supérieur vient se placer devant le conservateur. Il plonge la main droite, encore gantée, dans la poche intérieur de sa veste pour en tirer un document qu'il tend au responsable français.

"Le Reich-KunstMinister a décidé d'agir, en collaboration avec votre gouvernement."

Luther laisse à son interlocuteur le soin de prendre connaissance du contenu de la lettre. Main dans le dos, il se tourne vers l'artefact qu'il regarde avec confiance.

"Vos employés peuvent-ils se charger de mettre l'objet dans une caisse?"

À la lecture de la lettre, le conservateur se met à caffouiller. Ses mains tremblent légèrement, Luther qui s'était retourné ne les voit pas, mais entend le bruit du papier se tordant.

"Mais... Mais... Vous comptez sortir une oeuvre de son musée ? Où comptez-vous l'emmener ?! C'est totalement illogique. Le Musée a pour mission originelle d'assurer la présentation pérenne de cet objet. Que... Que comptez-vous faire ?"

À l'agitation de la voix du conservateur, deux hommes de la sécurité apparaissent un peu en retrait, à la porte menant à la salle suivante. Le Conservateur avait pris le soin, en deux heures de temps, d'assurer un minimum ses arrières.

Luther tourne les talons pour faire face au conservateur. Froncement de sourcils. Voix posée et froide.

"Je n'ai aucune réponse. Je n'ai que des ordres, et ils sont clairs. Je prend cet objet, et je l'emmène dans un lieu sûr, dans le Nord de Paris.

Maintenant, deux chemins s'offrent à vous... Soit vous vous activez sans perdre de temps pour me faciliter le travail, soit vous me mettez des bâtons dans les roues. Deux postures, deux conséquences : une lettre enthousiaste à votre ministère de tutelle louant votre efficacité et votre professionnalisme, ou alors, un séjour dans une prison française, voire une place inconfortable sur une chaîne de montagne de Panzer dans une froide usine polonaise.

Faites vos jeux."

Une froide détermination est ostensiblement affichée sur le visage de l'officier supérieur allemand.

"Vous appellez ça du professionnalisme que d'enlever une oeuvre à son musée ?!"

Le conservateur sert les dents, et donne une tape du revers de la main sur la lettre.

"Cette feuille ne donne aucune explication. Sécurité contre quoi ? Cet objet est-il dangereux ? Menacé ? Cela fait des centaines d'années qu'il existe, peut-être même des milliers, vous ne croyez pas que s'il était dangereux d'une quelconque façon, il n'aurait pas déjà fait plus de dégâts ?

Monsieur, je suis le Conservateur de ce Musée. J'exige sur le champs un minimum d'explications claires et concises."

Sur ces paroles, il se plante devant Luther, les bras tendus, les poings fermés.

Wachendorf soupire, puis se prête au jeu des explications. Inutile de brusquer les choses et d'attirer l'attention.

"Les informations en ma possession sont bien minces... Une cellule de terroristes communistes a été, en partie, démantelée. En région parisienne, mais aussi du côté de Bayonne, dans le Sud Ouest. De nombreuses œuvres d'art ont été retrouvées...

Ces bolchéviques, ces mangeurs d'enfants, pillent le patrimoine français pour l'échanger contre des armes, en Espagne, qu'ils utilisent contre les intérêts du Reich et de la France. Des listes d'objet ont été retrouvées... Des commandes, visiblement... En attendant d'avoir totalement éradiqué ce réseau terroriste, nous mettons à l'abri les principales pièces menacées.

Nous avons le soutien du gouvernement de Pétain. Fin des explications. Exécution."

Si le conservateur n'est pas convaincu, Luther demandera à ses hommes de faire usage de la force.

Le conservateur, amoureux des oeuvres d'arts, souffla d'embêtement. Les explications de Luther pouvaient se voir résonner dans les prunelles de ses yeux ; Echanger contre des armes... Pièces menacées...

"Pour vous dire la vérité, Monsieur... Je m'étais promis à moi-même de tout faire, malgré la guerre, pour protéger chacune des pièces exposées ou entreposées en ces murs. Mais si selon vos dires, la menace qui pèse face à cet antiquité est beaucoup trop forte pour moi, il s'avère juste que je devrai vous confier le Crâne de Paris."

Il pointe alors son index dressé vers le coeur de Wachendorf. Hans et Rainer on un léger reflexe de surprise, mais ne s'interposent pas.

"Cependant, si je vous le confie, je veux quelque chose en retour. Je veux connaitre la liste entière des oeuvres sollicités par les trafiquants d'armes, car les moyens qu'ils utilisent ne sont pas du tout louables, et je veux aussi pariciper activement à la protetion de ces oeuvres. Sachez que ne je vais pas laisser des militaires, aussi honorés soient-ils, transporter des oeuvres à leur guise, sachant très bien que si les bonnes précautions ne sont pas prises, celles-ci seront à coup sûr déteriorées !"