Au Sud de Dijon

La voiture ralentit -Lopez ouvre un oeil- puis s'arrête sur le bas côté. La route principale se scinde en deux un peu plus loin. Vivien avait pris le volant, se retourne.

"Dans un kilomètre, si on suit la voie principale, c'est la ligne de démarcation. Il y aura un barrage routier mais il y a moyen de le contourner par les petites routes de campagne, en coupant par les champs. Je pense que c'est faisable.

La prochaine fois, il faudra prévoir le faux Laisser-Passer !"

Il redémarre, et prend à gauche, sur une route plus étroite. Très vite, il arrive à un petit village. En le traversant, chacun remarque que la présence allemande est importante. Plusieurs side-cars stationnent sur la place principale, et des militaires patrouille dans les rues. Vivien fait signe à Jules de ne pas ralentir, et de sortir du village.

"Qu'est-ce que vous en pensez ?"

Lopez observe la ligne avec un air sombre. Il aurait du réfléchir, en quittant Paris, et demander un passe pour le retour. Certes, le départ de Lyon en voiture avec trois hommes aurait de toute facon chamboulé ses plans, mais le métis s'en veut tout de même.
"Vous avez donc pas les vôtres de papiers? " demande-t-il, tout en faisant signe à Jules de continuer

"Si ! Mais il faut un laisser passer spécial, délivré par les autorités. On aurait dû y penser avant de partir. Mais de toute façon, le temps nous manque."

Jules, après quelques kilomètres, ralentit légèrement, et s'engage sur un chemin de terre, emprunté généralement par un tracteur, longeant un champs en friche.

"L'hiver... Il aurait fallu qu'il y a des pousses pour nous camoufler. Ici, on est vite repérable. Il va falloir faire vite."

Vivien regarde par la vitre arrière du véhicule, et se levant légèrement, fouille dans le coffre de sa main. Il en sort une petite mitraillette.

"De toute façon, on est armé, si on doit en ceuillir quelques uns, ça sera avec ça !"

[Auguste Lopez trouve quatres armes: 2 petites mitraillettes, et 2 pistolets de poing.]

Auguste observe les armes, la route devant lui. Il serre les dents. Déjà des ennuis. Et s'ils se font ceuillir avec des armes, c'est douze balles plus une dans la peau.

"Trop dangereux ! Faut trouver un autre moyen."

[HS: a priori, je devrais avoir un passe pou rentrer chez moi, non? Quelqu'un qui passe la ligne dans un sens prévoit généralement le retour pour rentrer chez lui.]

Vivien cache les armes sous la moquette, sous les sièges. Il serre les dents et regarde par la fenêtre. Jules continue de longer le champ, aucun signe de vie ne les entourent.
Finalement, la voiture bifurque sur un autre chemin et arrive dans un petit passage entre des bosquets. À l'abri des regards, Jules marque une halte.

"Dans 500 mètres, on est de l'autre côté. Vous voyez le petit bois en face ? Il domine une petite pente qui mène à une route secondaire. Cette route est en Zone Occupée."

À peine a-t-il finit sa phrase qu'un lointain vrombissement de moteur fait se retourner Vivien. Pourtant, il ne dit rien. Le bruit du moteur s'éloigne et disparait.

[HJ: Tu en trouveras un chez les F.T.P]

Auguste, méfiant, fait signe à ses gars de rester tranquilles. Il descend de la voiture, ferme la portière pour ne pas laisser rentrer le froid, et observe minutieusement les environs, cherchant du feldgrau.

Une petite brise força Auguste à relever son col. Le vent froid d'hiver ne donnait guère bonne allure au paysage de campagne qui s'étendait devant lui. La terre, gelée, n'accueillait aucune pousse. Les bosquets qui cachaient les Francs-Maçons étaient juste assez denses par leur branches pour les masquer, mais le bois d'en face était dépourvu de tout feuillage et les arbres nus tendaient leurs bras avides vers l'étendue grise du ciel.

Il n'y avait aucun mouvement suspect, pas de têtes de Feldgrau en vue. Cependant, comme l'avait signalé Jules, la petite pente qui s'étendait après empêchait d'avoir une bonne visibilité sur l'ensemble du lieu. Les 500 mètres qui séparaient les bosquets du bois étaient vides de toute cache si l'on était amené à les parcourir. Lopez, réfléchissant, se retourna vers ses hommes. Ils patientaient au chaud dans la voiture.

Auguste, pas convaincu par l'absence d'uniformes, décide d'aller faire un tour lui-même.
Il retourne à la voiture et, tout en s'emparant d'une des armes de poing, annonce à ses hommes.

"Je vais en éclaireur, je vous ferais signe du bras si tout va bien"

Il jette un coup d'oeil interessé sur son arme. Un Ruby, 7.65, semi-automatique, certainement un des 30 000 exemplaires qu'avait commandé la France à l'Espagne, avant la guerre. Et aussi le pistolet qu'on lui avait remis, quand il dirigeait un groupe dans les Asturies.
La coïncidence le fait sourire, puis il fourre l'engin au fond d'une poche interieure.

"A tout de suite."

Prenant l'attitude d'un flaneur quelconque, Auguste s'élance sur le chemin, titillant les caillous du bout des chaussures. Mais son oeil vif guette le paysage, aux aguets. Il fourre les mains dans ses poches et releve le col de sa veste, pour se protéger du froid mordant.

À petits pas de promenade, Auguste suit le chemin qui finit par longer le petit bois. Lopez s'arrête là, contre un tronc, et regarde la suite du paysage qui s'offre à lui.

C'est le début d'une petite vallée. Des collines s'étendent au loin, les champs gelés divisant leurs flans. Le chemin de terre tombe sur une route goudronnée en contre-bas. Lopez ne peut en voir qu'un tronçon: à gauche, la route file à travers champs, à droite, elle disparait à un tournant derrière le bout de la colline. Pas le moindre signe de vie, si ce n'est une pie qui s'envolle de son perchoir - un arbre du bois.

Lopez attends quelques minutes, et se décide à retourner à la voiture lorsque ses mains commencent à souffrir du froid mordant. C'est à ce moment que deux side-cars et une jeep allemande débouche à vive-allure sur la droite. Une patrouille. Lopez, toujours derrière son tronc, s'agenouille.

La patrouille passe sans s'arrêter, et le silence revient.

"Bande de salauds ! C'était juste... J'espère qu'ils ne vont pas poser un barrage un peu plus loin."

Il retourne en petites foulées à la voiture, esperant se réchauffer. Arrivé dans le véhicule, il attend quelques moments que son corps reprenne une température supportable et lance à ses hommes:

"Bon, les gars, le chemin est dégagé jusqu'a la route. Mais après,... j'ai vu une patrouille allemande passer. Une jeep et deux motos. Donc 8 hommes au maximum et 4 ou 5 au mimimum. Vaudrait mieux éviter la confrontation."

Il sort la mitrailette de sous le siège. Puis lance une tape sur le volant, et s'exclame:

"Allez, démarre, on verra bien ce qu'on fait"

Il obtempère, suit le chemin terreux, laisse légèrement couler la voiture le long de la pente, laisse le petit bois derrière lui et tourne sur la gauche. Il roule au pas, attendant les directives de son chef.

"Devant, on rejoind les routes de Paris."

Auguste grimace:

"Ca me fait pas plaisir de suivre cette patrouille de boches. Mais bon, allons y, au pire, on est équipés"

Il tripote machinalement sa mitrailette, rassuré par contact métallique de l'arme.

"Prenez les votres, les gars"

Les trois mecs obéissent, les deux devant prennent les deux armes de poing.

les minutes s'écoulent. La voiture passe à cotés de deux champs, puis débouche sur une lagre plaine.

Sur le bord de la route, un side-car allemand, et ses occupants, et arrêté. Les deux feldgrau agitent leurs bras. Ils sont a priori en panne, à une centaine de mètres.

La voiture d'Auguste se rapproche assez vite.

Auguste, sans se retourner marmonne à ses hommes:

"Bon, on va voir ce qu'ils veulent, a la limite, on vient peut-être de gagner deux uniformes. Ralentis et mets toi à leur hauteur.
Vous, les gars, vous planquez vos armes, mais les gardez prêtes à l'emploi"

Il commence a stresser légèrement. Peur, mais aussi excitation, il va peut-être pouvoir éliminer deux autres saloperies fascistes.

"S'ils demandent un transport, tu descendras, Patrick, et on prendra un des boches. On l'emmenera dans un coin et on reviendra te chercher."

Quand la voiture arrive à hauteur des deux soldats, il baisse la fenetre, et lance sur un ton respectueux.

"Qu'est ce qu'on peut faire pour vous, messieurs?"

"Ach hum..." L'allemand hésite, ayant oublié qu'il lui faudrait s'exprimer en français. Il montre de ses deux mains la moto améliorée, et d'un regard interrogateur:

"Benzin ? Essence... ! Haben sie essence ? ..."

Ses yeux témoignent de son souçi de se faire comprendre. L'autre, derrière, le regarde faire, le regard plus dur.

Auguste rassemble les quelques mots de boche que lui avaient appris les volontaires allemands du bataillon Thälmann, quand il servait dans les brigades internationales.

"Einschuldigung, nous avons juste assez d'essence pour atteindre Paris. Mais nous pouvons revenir après avoir pris de l'essence. L'un de vous peut nous accompagner pour réquisitionner l'essence."

Normalement, ils ne laisseront pas un side-car sans surveillance, et se sépareront donc.
Auguste send de l'exaltation mélangée à de la peur pulser dans ses veines. Il va pouvoir s'offrir deux saloperies de fascistes et obtenir leurs uniformes... ou finir au mur avec douze balles dans le bide et une dans la nuque si ca plante.

Le soldat au regard dur s'avance alors. Il s'exprime directement en français, avec son accent barbare.

"En fait, nous avons des collègues, pas très loin d'ici sur la route. Pouvez-vous me mener jusque là." Il désigne la route, en sens inverse de la direction prise par Auguste.

"Ce n'est pas très loin. Mon ami restera ici pour garder le side-car."

Auguste manque de jurer. Puis une poigne puissante lui remue les tripes, quand il découvre ce qu'ils auraient risqué s'il avait attaqué plus tot. Les deux soldats qu'il s'apprétait à assassiner n'étaient donc pas isolés.
Il hésita un moment entre tenter de les réduire au silence tout de suite et acceder à leurs exigences. Il hésita entre son instinct qui lui criait de les éliminer et sa raison qui lui dictait une conduite plus prudente.
Finalement, il sourit, et lanca:

"Bien sur, montez."

Pendant ce temps, il se tourne vers ses hommes pour les faire taire d'un regard. Puis à Patrick.

"Patrick, laisse ta place à notre ami allemand"

Patrick sort de la voiture et laisse le siège du mort (à côté du conducteur, juste devant Auguste) au soldat allemand. La voiture fait demi tour sur la petite route, puis accélère pour prendre une vitesse normale.

En se tournant, Auguste peut voir que Patrick a proposé une cigarette au soldat sur le bord de la route. La voiture arrive à hauteur du petit bois, dans quelques mètres elle aura tourner derrière la colline. Si l'aide allemande n'était pas si loin que ça, peut-être faudrait-il agir tout de suite.

Auguste sert les dents. Merde !! Il hésite. Risquer la mission et la peau de ses hommes pour déssouder deux simples soldats? En même temps, une telle opportunité de mettre la main sur deux uniformes et de liquider au passages de la vermine fascistes ne se reproduira pas deux fois.
Merde!! Et parler de ces types comme des monstres à éliminer, ce n'est pas un comportement humaniste. C'est adopter le même point de vue qu'eux.
Le jeune homme hésite. Mais il n'a plus beaucoup de temps. Laisser vivre les deux types, ne prendre aucun risque et accomplir sa mission? Ou se débarasser de deux occupants?

Finalement, une colère sourde s'empare de lui. Non !! Il ne laissera pas s'en sortir ces deux salauds. Non, il ne laissera pas la prudence écraser son esprit de révolte.
Il revoit les peletons d'execution en Espagne. Il revit Guernica. Il repense aux poètes assassinés par les franquistes avec des armes allemandes.

Et dégaine.

Il pose son arme sur la nuque de l'allemand, déviant légèrement le canon pour que la balle finisse sa course dans la fenetre de la portière plutot que dans le pare brise, mais aussi pour ne produire aucun impact sur l'uniforme.
Avant que le nazi n'ait le temps de souffler, il lui chuchote froidement dans l'oreille:

"Ein Geste und ich tte dich, fascistice ungeziefer"

Et d'un coup de crosse dans la nuque, il l'envoie dans les bras de Morphée. Une fois le fridolin endormi, Augste le déleste de son arme de service, tout en ordonnant:

"On quitte la grand route, prenez le premier chemin de traverse possible, faut qu'on atteigne un bois.

S'ils ne trouvent rien pour s'éloigner de la route avant 300m, ils s'arreteront sur le bas-coté et finiront à pied.

La voiture avance toujours, la petite butte disparaissant derrière eux, et la plaine rejaillissant devant eux. Puisque la route semble se perdre tout droit entre les champs, Jules freine avec sa voiture, et commence à faire marche arrière.

"On va le mettre dans le bois sur la petite colline. On pose la voiture sur le bord de la route, sans se faire voir de l'autre, et puis on s'en débarrasse."

Aussitôt dit, presque aussitôt fait: Auguste et Vivien se charge de descendre le corps, et le traine jusqu'au sommet de la colline, dans le sous bois. L'ayant étendu entre deux arbres, Vivien s'interroge:

"On le laisse comme ça ?"

Auguste regarde l'allemand avec un regard vide. Il sait déjà qu'il n'a plus le choix. Le boche connait leur signalement, et le laisser vivant serait du suicide. Il refléchit quelques instants, puis se souvient qu'il doit répondre à Vivien.

-Non.

Il réfléchit.

-Toi, tu reste ici pendant qu'on va chercher l'autre, dépouille celui-là de son uniforme et tue le en silence. Après, tu l'entereras. On ira faire pareil avec l'autre."

Sa phrase terminée, il se rend compte avec horreur de l'horreur des mots qu'il vient de prononcer. Mais il sait qu'il n'a pas le choix. Déjà, il se sent les tripes nouées à l'idée de devoir éliminer l'autre soldat, plus sympathique.
Mais la machine est enclenchée, et il doivent aller au bout de leur boulot. Il se tourne vrs Vivien, pas très fier d'avoir eu à lui déleguer une telle tache.

-Faudrait mieux faire ca en silence. Tu peux l'étrangler si tu t'en sens les tripes, mais je te conseillerais plutot de le pendre."

Le ton de sa voix et la froideur avec laquelle il donne ses ordres terrifie Auguste. Mais après tout, n'est ce pas une qualité pour un résistant et un chef?
Et le souvenir des avions de la légion Condor survolant Guernica lui fait oublier tout remord.

Vivien regarde le corps du soldat assomé. Il lui retire ses pompes, puis son pantalon, et sa veste portante les quelques insignes. Il se redresse alors.

"J'ai peur de le réveiller si je tente de l'étouffer."

Il met la main dans sa poche, et la ressort le poing serré sur un objet.

"J'ai toujours un couteau sur moi..."

Minutieusement, il retourne le corps face contre terre. Le soldat gémit légèrement. D'un coup sec, après s'être penché sur lui, il lui plante l'opinel dans la gorge, lui tranchant la jugulaire. Lorsqu'il le retire, le sang jaillit en direction du sol. Sans bruit.

Puis, toujours avec le même silence, il traine le corps dans un défaut de la coline formant un trou. Il répend ensuite par dessus le cadavre feuilles et branches mortes pour le camoufler.

"Voilà. Ca devrait être bon."

Alors qu'ils redescendent vers la voiture, la neige se met à tomber.

En redescendant à la voiture, Auguste observe Vivien avec un mélange de répulsion et de respect. Il se demande si lui-même aurait le tripes de faire gicler comme ca le sang d'un homme.
Au fusil oui, bien sur. On appuie sur la détente et on regarde couler le sang, on fait pas le rapport entre la gachette et le tué. Dans une bagarre aussi. L'adrénaline et le déroulement des évènements font que le coup est presque un accident.
Mais méthodiquement, avec autant de sang-froid, il n'en était pas sur. On aurait dit un artisant penché sur son oeuvre, un boucher saignant un porc assomé.
Il cherche sur Vivien des émotions, des gestes qui laisseraient deviner que l'homme de main ressent une quelconque gène.

*Soit ce type est une brute, un tueur et un salaud incapable d'appréhender ce qu'une vie ca signifie, soit c'est le soldat de l'ombre le plus efficace que j'ai jamais rencontré*

En remontant dans la voiture, tandis que le moteur commence à ronronner, il demande à Vivien, sur un ton qu'il essaie de rendre trivial.

"T'es boucher dans le civil?"

La voiture s'élance sur la route, vers la moto en panne. Ca va être beaucoup plus dur. Auguste espere presque que l'autre va essayer de fuir ou se défendre.

Vivien a un rictus ironique.

"Pas exactement. Avant la guerre, j'ai travaillé aux Halles, là où on doit choper Unger. J'y voyais des vaches et des cochons se faire étriper toute la journée. Faut dire que ça forme..."

Puis il garde le silence.

La voiture revient alors doucement vers le side-car. Patrick et le soldat attendent toujours sur le bord de la route.